Que faire des Grandes Ecoles ?
Comme d'habitude, Les Echos ont changé le titre ......
d'Alain Lemasson
Nos grandes écoles doivent s'adapter au monde nouveau
Le monde des grandes écoles françaises est au coeur d'un étrange paradoxe. D'un côté, pourrait-on dire, leur succès ne se dément pas. La forte demande du « produit » grande école paraît même se jouer des classements internationaux défavorables. Quelle famille française - voire étrangère - ne rêve pas d'envoyer ses enfants dans l'une d'entre elles ?
Le succès « social » des grandes écoles est en contraste saisissant avec la situation économique du pays. Les performances françaises dans l'aéronautique, le luxe et le nucléaire ne compensent hélas plus l'atonie des autres secteurs industriels et la faiblesse des PME. Le débat public, focalisé sur la fiscalité, les charges et la monnaie, semble exclure toute responsabilité de la formation supérieure dans le diagnostic.
Un lien doit pourtant exister entre nos difficultés et le profil de ce qu'il est convenu d'appeler nos élites. Leur formation et les modes de sélection ne sont peut-être plus en adéquation avec les besoins réels de l'économie.
Il y a dans la formation des ingénieurs et des « commerciaux » des anomalies flagrantes qui incitent à la réflexion. Ainsi, la pédagogie à l'ancienne, l'absence d'ouverture et de mixité intellectuelle, le sentiment diffus du temps perdu à l'école après l'intensité des prépas : loin de stimuler les capacités créatrices des élèves, ces éléments ne sont peut-être pas étrangers à l'émergence de profils de futurs rentiers.
Cette question du contenu des enseignements est avivée par une constatation troublante : on peut se demander pourquoi il faut cinq années d'études en France pour « produire » un HEC alors qu'une ou deux suffisent ailleurs, à l'Insead ou à Harvard.
La réflexion la plus importante devrait porter sur le profil des élèves des grandes écoles. Certes intelligents, ils sont capables d'apprendre vite et beaucoup. Ce sont de bons élèves, obéissants, formatés pour s'intégrer dans les hiérarchies protectrices des grands groupes ou de la haute administration. A des années-lumière de l'envie d'entreprendre et de la prise de risque.
On observera, il est vrai, que les grandes écoles évoluent. L'accent sur les langues et les stages à l'étranger comble intelligemment le temps creux des cursus. Mais il faut bien noter que cette évolution se fait sous la pression extérieure. Entre l'adaptation des titres aux normes européennes et la recherche de nouvelles ressources financières, les directeurs de grandes écoles ont déjà fort à faire. Il est bien difficile de demander à une institution de se réformer de l'intérieur.
Une solution simple pourrait changer la donne : le développement de l'apprentissage en PME. Ou plutôt son inflexion dans ce sens, puisque l'apprentissage en alternance est déjà une option offerte aux élèves des grandes écoles. Ces élèves découvriraient rapidement qu'il y a beaucoup plus à apprendre dans l'univers transparent de la PME que dans la division cloisonnée d'une société du CAC 40. Le mouvement progressif des élites vers le monde des PME pourrait amorcer la nécessaire érosion des barrières culturelles entre ces deux populations. Pour le plus grand bien des parties concernées et du pays tout entier, comme le montre depuis des décennies l'exemple de notre grand voisin et partenaire commercial d'outre-Rhin.
Alain Lemasson
Alain Lemasson, Centrale-Insead, est président de infofi2000.com